À propos de Tout le monde aime Jeanne

par Frédéric Mercier

À quoi peut bien penser Jeanne, elle qui a échoué à sauver le monde ? Tout se mêle en même temps dans sa tête : une créature hybride à perruques, son fiasco professionnel, le fantôme de sa mère, le soleil de Lisbonne et le comportement fantasque d'un vieux copain de lycée. Entre screwball-comedy et film d'animation introspectif sur une femme au bord du gouffre, Tout le monde aime Jeanne brasse pensées interdites, tabous, angoisses de cataclysme, mélancolie douce et joies furtives dans un maelstrom de couleurs, de dessins et de mélopées.

Entretien avec Céline Devaux

« C'est aux Arts Décoratifs de Paris où j'effectuais mes études que j'ai vraiment découvert le cinéma d'animation. Puisque mes deux activités principales depuis l'enfance ont toujours été l'écriture et le dessin, j'ai compris que c'était vers cela que je devais me diriger.

En 2012, pour obtenir mon diplôme, je réalise Vie et Mort de l’Illustre Grigori Efimovitch Raspoutine. C'est à cette occasion que je rencontre Ron Dyens, mon futur producteur qui allait me permettre de faire comme je le souhaitais Le Repas Dominical. Le film a eu un parcours incroyable qui m'a permis de briser un peu la frontière entre les secteurs de l'animation et du cinéma traditionnel. Je crois vraiment que le cinéma, ce sont avant tout des histoires et des expériences. Alors qu'importe si ce sont des romans photos, des dessins, des films chers ou à dix balles du moment que ça fonctionne. Mon école de cinéma, c'est plutôt Alain Resnais pour son usage d'éléments hétéroclites.

Avec Gros Chagrin en 2017, j'ai enfin pu expérimenter entre prises de vue classiques et animation. Pour Jeanne, j'avais encore besoin de ce mélange pour parler de la multiplicité des expériences autour de thèmes liés à l'angoisse. Dans nos vies, il est rare que nous vivions une chose à 100 %. Nous sommes sans cesse parasités par des tas de pensées qui nous empêchent de ressentir pleinement une émotion. Je souhaitais que l'on soit avec Jeanne en train de vivre plusieurs choses en même temps, sans rien perdre. Nous devions demeurer dans cet échange permanent entre intériorité et extériorité. Pour figurer cette petite voix intérieure, j'ai imaginé une créature goguenarde et un peu crade. Dans le scénario, je l'ai appelée Petit fantôme mais, en fait, je crois qu'elle a beaucoup à voir avec la honte. »