Les pieds sur terre
par Ava Cahen
par Ava Cahen
Aventure, rébellion et émotions sont au rendez-vous de la sélection longs métrages 2025. Les onze films qui la composent (sept premiers et quatre seconds) partagent le même pouvoir magique : nous faire décoller de notre siège, par la force du cinéma qu’ils engagent, alors même qu’ils nous encouragent à garder les pieds sur terre. Embarquement immédiat avec L’Intérêt d’Adam, ouverture de la 64e Semaine de la Critique. Après l’école et sa cour de récréation (Un monde), la réalisatrice belge Laura Wandel concentre l’action de son deuxième film entre les murs d’un hôpital – chambre d’écho de diverses questions sociales. Plans séquences et plans rapprochés charpentent ce drame contemporain dans lequel brillent les comédiennes Léa Drucker et Anamaria Vartolomei, jouant respectivement une infirmière vigilante et une mère célibataire en difficulté.
Redoublant d’inventivité pour transposer la réalité dans laquelle leurs récits s’inscrivent, les cinéastes qui concourent en compétition adoptent des partis-pris esthétiques et narratifs audacieux qui décapent vigoureusement les poncifs. Chacun son style. Le réalisateur néérlandais Sven Bresser choisit la forme sèche du polar pour interroger la masculinité toxique et le caractère systémique de la violence dans Rietland ; la Cañada Real, plus grand bidonville d’Europe, devient le théâtre surréaliste de bouleversements majeurs pour deux adolescents joueurs dans Ciudad sin sueño du cinéaste espagnol Guillermo Galoe ; en Thaïlande, des esprits se réincarnent en aspirateur et climatiseur pour protester contre l’oubli grâce à Ratchapoom Boonbunchachoke qui revisite avec humour et fantaisie les codes du film de fantôme dans Pee chai dai ka ; la réalisatrice belge Alexe Poukine donne au drame naturaliste et social un nouveau coup de fouet avec Kika, portrait d’une assistante sociale enceinte d’un enfant qu’elle n’a pas les moyens de désirer ; les plans d’une petite maison au design futuriste soulèvent des débats existentiels, familiaux et historiques vertigineux dans Imago, documentaire autobiographique du cinéaste tchétchène Déni Oumar Pitsaev ; la réalisatrice française Pauline Loquès raconte avec justesse trois jours décisifs dans la vie d’un jeune homme qui ne sait plus par quel bout la prendre dans Nino, chronique en temps réel qui fait mouche ; enfin, on enfile nos baskets avec la réalisatrice taïwanaise Shih-Ching Tsou pour suivre au pas de course une mère et ses deux filles qui galèrent à Taipei dans Left-Handed Girl, mélodrame aux rebondissements inattendus. Malgré la gravité des sujets abordés, pessimisme et fatalisme sont combattus par ces fictions et ce documentaire qui cherchent le soleil, même au milieu de la nuit.
En séances spéciales, deux comédies dramatiques françaises aux différents propos et tempo nous régalent. La vie en périphérie d’abord, avec Baise-en-ville de et avec Martin Jauvat, attachant road-movie pédestre qui carbure au comique de situation et au slapstick. Paris à bicyclette ensuite, avec Ella Rumpf et Monia Chokri, héroïnes de Des preuves d’amour d’Alice Douard, très beau film sur la maternité et l’adoption qui se déroule en 2014, un an après le vote de la loi sur le mariage pour tous.
Outre la révélation de cinéastes au talent monstre et la transmission d’histoires puissantes, cette édition rend hommage, une fois encore, aux comédiennes et comédiens qui commencent tout doucement à entrer dans la lumière. Des nouveaux visages sur lesquels le présent et l’avenir se projettent, comme celui de la comédienne française Manon Clavel, découverte dans La Vérité de Hirokazu Kore-eda, qui décroche avec Kika son premier grand rôle, du comédien québécois Théodore Pellerin, déjà remarqué sur petit et grand écrans, incandescent dans Nino, ou encore de Davika Hoorne, nouvel espoir du cinéma thaïlandais, extraordinaire dans A Useful Ghost.
Pour clôturer la 64e Semaine de la Critique, un premier long métrage d’animation aux couleurs psychédéliques, le bien nommé Planètes de la réalisatrice japonaise Momoko Seto, fable écologiste où les héros sont… des akènes de pissenlits rechapés d’une explosion nucléaire. Un voyage ébouriffant, de l'infiniment grand vers l'infiniment petit, qui marque durablement les consciences et rappelle l’importance des liens qui nous unissent.
Ava Cahen
Déléguée générale