Les derniers seront encore les premiers
par Nathalie Chifflet
par Nathalie Chifflet
Action !
Midi sonne à Lyon en ce mardi de mars 1895. Le filmeur entre en scène. Il pose sur un trépied de bois son appareil. Le cadre est posé. Il tourne la manivelle tandis que le portail des ateliers de l'usine familiale s'ouvre. Et voici qu'un flot d’ouvrières et d’ouvriers se presse au dehors et se disperse — à droite, à gauche, joyeux désordre. Leur mouvement et leur éternité se révèlent sur dix-sept mètres de pellicule : la première vue du Cinématographe. Cinquante secondes. Un art naît, brut, fulgurant. Déjà le cinéma ! Enfin, le cinéma !! Le filmeur va changer le monde avec la projection d'images photographiques animées sur un écran : Louis Lumière, l’homme au Cinématographe, devient le cinéaste premier.
Le cinéma ne sera jamais un vieil art. Il y aura toujours un premier film. Un nouveau filmeur. Dans le continuum de l'histoire du cinéma, du pionnier aux auteurs contemporains, la 64e Semaine de la Critique célèbre cet art qui à chaque premier film fait la promesse de sa perpétuation et de sa réinvention. Notre déléguée générale Ava Cahen et ses comités ont choisi 11 longs métrages et 13 courts, tous des premiers ou deuxièmes films ; la révélation de metteurs en scène qui relient l’aube certaine du cinéma de Lumière à ses beaux lendemains.
Il y a dans le geste de découvrir un film un élan vital. La Semaine de la Critique l'accomplit comme un acte de foi : nous croyons à la puissance du cinéma, à ses explorations, à ses audaces, à ses expressions sensibles et radicales. Les cinéastes que nous accompagnons sont les éclaireurs d’un art toujours en devenir.
La sélection de la Semaine de la Critique met en lumière des œuvres fortes qui osent des idées, des formes, des visions. Des histoires qui attrapent l'esprit et le cœur. Des récits qui nous importent, nous saisissent, nous remuent. Des personnages qui nous ressemblent ou nous débordent. Des mondes où l’on se perd et, parfois, se retrouve. Nous y voyons l'homme, la vie, des ombres, des clartés dans l'obscurité du temps présent.
La Semaine de la Critique dit qui nous sommes, au sein du Syndicat français de la Critique : des engagés. Nous cherchons, nous défendons, nous croyons. Nos comités de sélection explorent les nouveaux territoires du cinéma en quête de nouveaux auteurs. Leurs choix disent pourquoi la critique soutient le cinéma, art puissant, libre, changeant, imprévisible, surprenant. Ce n’est pas une affaire de flair, c’est un acte de foi.
En cette année où le premier des premiers films fête ses 130 ans, le geste originel de Lumière vit encore à travers chaque film que nous présentons, en première en mai au Festival de Cannes, en reprise quand la Semaine de la Critique rembobine les mois suivants sa programmation, en France et à l'étranger. Les jeunes cinéastes sont des fils et des filles Lumière. Leurs vues ne sont pas des points d’arrivée, mais des départs. Ils ne concluent rien, ils recommencent tout. Au Festival de Cannes, à la Semaine de la Critique, les premiers films renouvellent le miracle premier du cinéma originel. Comme une Sortie d’usine revisitée, des silhouettes d’aujourd’hui traversant l’écran avec la même fougue instinctive.
Nathalie Chifflet
Présidente du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des Films de Télévision