60 ans d'avenirs

Tu mérites un amour

par Isabelle Danel

Lila est triste, un jeune homme en train de cuisiner pour elle le lui fait remarquer. « C’est la mélancolie… », dit-elle en regardant par la fenêtre. Lila traîne avec elle le chagrin d’un grand amour finissant, qui joue les prolongations. Le garçon part se ressourcer au loin mais maintient un lien, toxique. Ses amis la consolent, la conseillent, l’entourent et la font rire. Pleurer aussi, parfois.

Rencontres, silences, larmes, moments de trouble : le chemin de deuil de Lila, avant l’acceptation, est sinueux, tortueux. Pourtant, au plan d’ouverture du film, elle marche droit vers son but, comme un petit soldat bardé de certitudes. Au centre de son premier long métrage en tant que réalisatrice, Hafsia Herzi donne corps et âme au chagrin d’amour. Madone éplorée au profil de médaille, la brune jeune femme s’émiette sous nos yeux, tandis qu’autour d’elle, comme un pied de nez, une obligation à sourire malgré tout, la vie est là. Immanente. Évidente.

Tu mérites un amour s’inscrit, à première vue, dans un courant introspectif et réflexif dont le jeune cinéma français des années 1990 s’est fait une spécialité. Mais loin des inquiétudes nombrilistes que ce constat génère, l’éclat particulier du film de l’égérie d’Abdellatif Kechiche est d’être à la fois singulier et pluriel. De partir d’un chagrin intime pour raconter les hommes et les femmes de sa génération. Un univers en soi. Regardé sans fioritures, mais avec une tendresse, palpable.

Ce que capte Hafsia Herzi de cette jeunesse d’aujourd’hui est du pur cinéma. Vibrant, vivant. Allées et venues des corps, va et vient des sentiments. Les mouvements, les élans, les fuites, sont autant de lignes lancées, de flèches décochées. L’émotion naît d’une vérité simple et magnifiquement incarnée. Oui, l’amour fait mal. Ses aînés l’ont dit bien avant elle, à commencer par François Truffaut. Joie et souffrance mêlées… Mais avec ses dialogues en apparence improvisés, sa citation bouleversante d’un poème de Frida Kahlo, ses colères éclatantes, ses cadres caressants, sa lumière irradiante, ce premier film sincère et généreux ne ressemble qu’à lui-même. Qu’on ait une folle envie, après Le Robda (2011), son court métrage frétillant sur le désir de cinéma, et ce premier long réussissant le prodige d’être à la fois ambitieux et humble, de voir ce que nous réserve Hafsia Herzi réalisatrice, est un doux euphémisme.