Entretien avec Randa Maroufi, réalisatrice de L'mina

par Grégory Coutaut

Que s'est-il passé dans la mine de charbon de Jerada et qui a provoqué la colères des habitant.e.s ? Avec la volonté de déterrer "une mémoire toujours vivante", la cinéaste marocaine Randa Maroufi nous invite à plonger dans cette œuvre documentaire polyphonique comme on s'enfoncerait mystérieusement au centre de la terre. Avec ses images souvent stupéfiantes et ses imprévisibles variations de style, L'mina évoque par instants une séance d'hypnose individuelle, mais son ambition politique demeure surtout celle d'un appel galvanisant à la révolte collective.

Entretien avec Randa Maroufi

Une œuvre politique et contemporaine

Nous vivons une période particulièrement hypocrite et relativement terrifiante d'un point de vue de la dignité humaine. Une large part des sociétés libérales redécouvre (ou fait semblant de redécouvrir) que le Capital se paie sur le dos de la bête humaine. Avec L'mina, je souhaitais rendre compte d'une réalité sociale contemporaine : un groupe ouvrier qui se met en mouvement dans le contexte actuel de crise. Si mes pas m'ont menée dans la ville de Jerada, ce n'était certainement pas pour y composer une ode misérabiliste et complaisante au courage des travailleur.se.s marocain.e.s. Je voulais également éviter l'écueil de l'esthétisation et ne pas laisser la forme prendre le pas sur le fond, sur les réalités vécues et les problématiques que le film tente de transmettre. Je me suis constamment demandée comment faire ne sorte que la forme épouse le fond sans que l'un écrase l'autre, sans hiérarchie entre le regard et ce qui est donné à voir. 

Une création collective

Dès les premières phases d'écriture, le projet s'est construit en lien étroit avec des personnes rencontrées à Jerada. Sans leur complicité, le film n'aurait jamais été ce qu'il est aujourd'hui. Ce processus d'écriture s'est nourri d'échanges constants, de discussions profondes sur la manière de raconter, de montrer ou de taire certaines choses. Cette fabrication collective est au cœur même du film. Les personnages incarnent pour la plupart leur propre rôle, contribuant ainsi à la création d'un document fictif.

Différentes natures d'image

La complexité de l'histoire de Jerada ne peut pas se cloisonner à un seul niveau d'image. Les images en scans 3D renvoient aux techniques de l'architecture forensique ainsi qu'aux outils de surveillance et de contrôle. Ces références s'intègrent parfaitement dans ma démarche, dans laquelle j'utilise souvent des outils officiels pour raconter l'informel. Les images en Super 8 apportent une valeur intime et familiale. Cela m'a permis d'explorer le lien de la nouvelle génération avec la mine, tout en résonnant avec une histoire plus individuelle.

Reconstituer l'intérieur de la mine

Il était absolument hors de question de tourner dans un vrai puits et risquer de mettre qui que ce soit en danger. C'est ce refus qui a guidé le choix du dispositif du décor. Lors de nos discussions avec des jeunes mineurs de ma famille adoptive à Jerada, on reconstruisait ensemble, dans le salon, le travail au fond de la mine à l'aide de matelas et de coussins. Je suivais leurs récits le souffle coupé. Je voulais que la caméra reproduise ce geste, qu'elle l'incarne littéralement dans sa manière de se déplacer, de cadrer, de respirer presque. Avec l'équipe du décor, nous avons alors reconstitué un puits et une galerie. Chaque séquence a été filmée individuellement, comme des fragments d'un tout que nous avons assemblés en post-production, comme en couture. Le film s'inscrit dans la continuité de mes précédents travaux qui optent pour une mise en scène directement inspirée par le réel, sans chercher à en offrir une reconstitution fidèle.

À la Semaine de la Critique

L'mina

2025

Court métrage

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