Entretien avec Pauline Loquès, réalisatrice de Nino
par Damien Leblanc
par Damien Leblanc
Entretien avec Pauline Loquès
Il y a quelques années, j’ai perdu un proche, un jeune homme emporté par un cancer. Terrassée par la tristesse et la colère, j’ai voulu retrouver l’espoir en me mettant à écrire. J’avais besoin de réinventer l’histoire, de sauver un personnage. Celui de Nino m’est vraiment tombé dessus, comme un coup de foudre au coin d’une rue. Je me suis prise d’affection pour ce garçon hésitant aux contours flous et je l’ai suivi dans son errance. J’ai vite compris que ce ne serait pas l’histoire de quelqu’un foudroyé dans la force de l’âge, mais d’un jeune homme flottant, que l’annonce d’une grave maladie allait projeter dans la vie. J’ai choisi une temporalité courte - trois jours - entre l’annonce du cancer et le début du traitement. J’aime infiniment les récits chroniques au cinéma, et j’étais très curieuse d’explorer ce qui pouvait se passer dans ce « temps mort », entre ces deux grands évènements. Il y a bien des jours et des nuits à vivre, alors comment les traverser ? Comment vivre l’anodin dans un moment exceptionnel de sa vie ?
Le film se déroule à Paris, et ça n’a rien d’une image de carte postale ! Je voulais montrer cette ville qui change constamment, presque en temps réel. Paris est un chantier perpétuel, un peu à l’image de l’existence : il y a des murs à faire tomber, des crevasses à combler, de nouveaux espaces à créer. Je voulais aussi montrer une ville bien plus grande que soi, qui ne s’adapte jamais à ce qu’on est en train de vivre. Quand Nino reçoit cette annonce, pour lui c’est comme un grand coup d’arrêt, mais la ville, elle, ne cesse ni son rythme, ni son brouhaha. Elle vient lui rappeler qu’il est une vie parmi d’autres, que les autres ont leurs petits ou grands problèmes, qu’il va falloir continuer à avancer, à faire avec. Si Nino l’avait pu, je crois qu’il aurait passé ces trois jours tout seul, au fond de son lit… À la porte de son appartement, il est contraint de déambuler dans cette ville où il lui est impossible de se trouver seul. Où qu’il aille, il y aura toujours quelqu’un à quelques mètres de lui. Pour le meilleur ou pour le pire.
J’étais si attachée à mon personnage pendant l’écriture que j’ai craint de ne pas trouver un acteur pour qui j’aurais autant d’affection. La directrice de casting du film, Youna de Peretti, a eu l’instinct très fort qu’il fallait que je rencontre Théodore, dont j’ignorais tout, malgré sa carrière outre-Atlantique. Et elle a eu raison, puisque comme pour Nino, j’ai eu un coup de foudre ! Au-delà d’être un immense acteur, un génie du jeu, Théodore a une délicatesse inouïe, une pudeur naturelle, une vraie vulnérabilité qui contraste avec un physique majestueux... Il est envoûtant sans jamais chercher à l’être, et ça explique qu’on le suive à la trace pendant une heure trente. Je l’ai entouré de jeunes acteurs et actrices sensibles, singuliers et... gentils ! Salomé Dewaels, William Lebghil, Camille Rutherford, ont tous dit la même chose après avoir lu le scénario : « Qu’il est touchant, Nino... » Ils ont été très généreux en cherchant avant tout à rencontrer et accompagner ce personnage dans son chemin. Pour incarner la mère de Nino, Jeanne Balibar a été une évidence. Elle a une espièglerie adolescente et une grande sagesse à la fois. Elle nous donne à voir la richesse d’une relation mère-fils en très peu de scènes. Quant à cet homme mystérieux et loufoque que rencontre Nino par hasard, je n’arrêtais pas de répéter à ma directrice de casting « il faut trouver une sorte de Mathieu Amalric ! » Mais il est tellement unique qu’on a fini par lui demander à lui… J’ai eu beaucoup de chance que Jeanne et Mathieu acceptent de participer à mon film. Ils sont tout ce que j’aime dans le cinéma : l’amour du jeu, l'humilité et la liberté dans la création, la curiosité infinie pour des histoires et des personnages.