Entretien avec Lili Koss, réalisatrice de Eraserhead in a Knitted Shopping Bag
par Esther Brejon
par Esther Brejon
Pour son premier court-métrage, Lili Koss nous emmène dans la Bulgarie des années 90, dans un monde sans adultes où les enfants évoluent bien loin de l'innocence supposée. Dans ces décors industriels, baignés par une lumière estivale, la recherche par une jeune fille d’une cassette vidéo d’Eraserhead prend l’allure d’une quête cinéphile et existentielle, comme attirée par la lumière sombre de David Lynch, à qui la réalisatrice rend un hommage émouvant.
Entretien avec Lili Koss
Quelle est la part d’autobiographie dans votre film ?
Il y a beaucoup d’éléments autobiographiques, notamment ce qui concerne la cinéphilie, car en grandissant, nous regardions trois cassettes par jour. Le cadre de cette ville industrielle est également autobiographique, puisque j’ai grandi dans un endroit où les usines ont été laissées à l'abandon après la chute du communisme : beaucoup de rouille, de poussière, c’était très post-apocalyptique.
Votre film est, bien évidemment, un hommage à David Lynch. Quel rôle joue-t-il dans votre carrière de réalisatrice ?
Un rôle énorme ! Ses films ne peuvent pas vous laisser indifférent ; le malaise qu’ils provoquent et la façon dont ils vous obligent à vous connecter à vous-même et à votre subconscient représentent, pour moi, l’objectif ultime du cinéma. Eraserhead est le premier film de Lynch et, à mon avis, l’un de ses plus courageux. Je ressens une profonde connexion avec lui en tant qu’auteur, ainsi qu’avec son processus créatif : cette curiosité et cette admiration qui naissent lorsqu’on donne vie à une idée et qu’on lui reste fidèle tout au long des émotions qu’elle suscite. De la théorie à la pratique, je pense que nous sommes tous attirés par cela ; et pour moi, cette sensation d’urgence qui émerge du processus devient presque physique.
Comment avez-vous décidé d’inclure des extraits du film Eraserhead de David Lynch dans votre film ?
D’un point de vue technique, nous voulions préserver l’authenticité de l’environnement et de la période sur lesquels nous travaillions, tout en filtrant l’ensemble à travers le regard de Ro, une fille de 12 ans et de son propre parcours. Ensuite nous avons intégré ces visuels en référence à Eraserhead. Lynch disait que c’était son film le plus important et il tenait à voir un montage pour s’assurer que notre intention correspondait bien à ce que nous montrions à l’écran. Nous avons obtenu son aval pour l’utilisation d’Eraserhead, et c’est dommage que cette année l’ait emporté et que nous ne pourrons pas lui montrer le film sur grand écran.
Vous montrez une certaine dureté dans l’histoire de cette jeune fille qui grandit dans un monde cruel. Pourquoi ?
Toutes les enfances ne sont pas pleines de joie, de bonbons, de jeux sans fin et de liberté ; ni aujourd’hui, ni à l’époque. Les années 90 étaient une période brutale. L’économie était en miettes, l’inflation atteignait 1000% et de nombreuses familles ont été plongées dans une logique de survie. Dans les foyers d’ouvriers, comme celui dont je viens, les parents devaient souvent cumuler deux emplois pour joindre les deux bouts. D’une certaine manière, les enfants étaient livrés à eux-mêmes. Nous devions construire nos propres mondes. Mais j’espère que nous avons réussi à saisir le fait que, même dans cette réalité, les enfants trouvaient encore un moyen de voir le monde avec leurs propres yeux, hauts en couleur et pleins d’espoir.