Entretien avec Jocelyn Charles, réalisateur de Dieu est timide

par Léo Ortuno

Se raconter des histoires qui font peur dans un train lancé à pleine vitesse, voici le point de départ singulier de Dieu est timide. Un film au style affirmé, où les personnages s’interrogent sur leur plus grande frayeur et cherchent à éclaircir le mystère de la vie au son d’un sifflement énigmatique. Jocelyn Chales signe un premier court-métrage hypnotisant et travaille ses grands écarts : de l’anecdotique à l’existentiel, du banal à l’étrange et du croquis à la déflagration de couleurs.

Entretien avec Jocelyn Charles

Du clip au film

Dieu est timide est mon premier court-métrage et aussi l’occasion de consolider mon univers artistique. Pendant la réalisation du clip Hématome pour le groupe L'Impératrice, j'ai développé avec ma co-réalisatrice Roxane Lumeret, le sujet de la monstruosité, qui est devenu un thème récurrent dans mon travail. Dans le clip How Do I Make You Love Me de The Weeknd, j’ai accentué l'horreur, allant parfois jusqu'au gore. Tout cela m'a donné des clés et des idées de scènes que je désirais mettre au service d'une histoire originale et plus personnelle.

L’horreur

Je trouve que l'horreur est un genre "populaire" qu'on associe souvent à tort à une sous-culture, moins noble qu’un drame ou une romance. C'est pourtant le seul genre qui peut réellement ajouter une nouvelle couleur à notre palette d'émotions de spectateur : la peur. On peut l'associer à d'autres, la mélanger, l'effacer ou l'étaler. Je suis fasciné par le travail d'Ari Aster et j’aime l’idée d’insuffler de l'humour dans les situations, comme il a pu le faire dans son dernier film Beau is Afraid, ou comme le fait aussi Jordan Peele dans ses films. J'ai également été très touché par The Strangers, qui mélange les genres, les tons et revisite les films de possession avec le chamanisme et le folklore coréen.

L’animation de Dieu est timide

J'ai un style d'animation évidemment influencé par la culture japonaise, dans la ligne fine, les hachures, les reflets, même les proportions. C'est sans doute parce que j'ai été bercé par ces auteurs pendant mon enfance, de Dr Slump d'Akira Toriyama pour les grosses têtes et le comique du dessin, à Princess Mononoke de Miyazaki pour l'horreur et l'omniprésence de la nature. Tous deux sont des piliers de mon identité visuelle. J'ai souhaité m'approcher du vocabulaire de la prise de vue réelle dans les techniques de réalisation (jouer avec les flous de focale, la lumière, les mouvements de caméra…), tout en récupérant parfois une esthétique propre à l'animation avec les déformations de perspective ou l’exagération des mouvements.

Les voix des personnages

L'animation est un médium qui a un contrôle total sur tous les éléments de la fabrication. Cela peut créer une distance avec le réel, car nous perdons en spontanéité et en imprévu. Chaque phrase sert à faire avancer le récit, on ne s'offre pas le luxe de faire dire aux protagonistes des choses futiles, d'improviser ou tout ce qui viendrait retarder l'avancée de l'histoire. Pourtant, j’ai l’impression que c'est précisément là que l'on rattrape notre distance avec le réel. C'est dans les voix des acteur.ice.s que l'on récupère la vie et la chaleur du réel. C'est pourquoi j'ai voulu m'entourer de comédien.ne.s bien installé.e.s, en qui j'ai une totale confiance et avec lesquels je peux me laisser surprendre par leurs propositions. J'ai souhaité les rendre actifs dans l'exercice de doublage et imprégner mes personnages de leurs singularités.

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