Entretien avec Guillermo Galoe, réalisateur de Ciudad Sin Sueño

par Olivier Pélisson

Guillermo Galoe réunit la force du réalisme, la cinégénie du romanesque et la beauté stylistique. Épatante et foisonnante, son épopée met en lumière une communauté et un territoire invisibilisés, en périphérie de Madrid. Ces premiers pas dans le long métrage de fiction débouchent sur un puissant film sur l’attachement, familial, communautaire, amical, animal, et aux prémices de la rencontre amoureuse.

Entretien avec Guillermo Galoe

Le film évoque la fin d’une communauté. Il est né d’une relation que j’ai tissée avec une communauté située à peine à 10 minutes de chez moi : La Cañada Real, le plus grand bidonville d’Europe, en banlieue de Madrid. Après des décennies à s’étendre tout à fait en marge de la société, dans l’indifférence générale, elle est aujourd’hui - maintenant que le terrain suscite l’intérêt de spéculateurs immobiliers - menacée de démantèlement et d’expulsion. Les personnages du film portent de profondes blessures, alors qu’ils se retrouvent confrontés à la fin de leur mode de vie et à la disparition d’un monde qui, bien que longtemps marginalisé, continue de porter ses valeurs et ses mythes avec fierté et dignité, si ce n’est parfois de manière quichottesque. 

Je voulais raconter cela à travers les yeux de Toni, qui est sur le point de devenir adulte, mais dont le regard garde encore la magie de l’enfance, un regard sans jugement, où tout est encore possible. Un regard poétique qui nous entraîne dans un univers brut et complexe, peuplé de personnages qui auraient aussi bien pu sortir d’un film noir ou d'un western, non à travers les stéréotypes du genre, mais par la peau et l’intime. Ce sont les habitants de cette communauté qui ont donné vie à ce film. Et là-bas, aux confins de ma société, j’ai trouvé une communauté rom d’Estrémadure qui fait écho au monde de mes grands-parents, qui ont eux-mêmes parcouru ces mêmes territoires, chassé avec les mêmes chiens et raconté les mêmes légendes. 

Le film est né d’une image : un garçon qui tente de rattraper son enfance alors qu’il la voit s’envoler dans la nuit. J’ai été ému par l’idée de valoriser ce qui disparaît en révélant la beauté et la magie que recèle toute réalité. Et le propre du cinéma est justement cette capacité à transmettre la magie et l’émerveillement, comme le regard d’un enfant. A tel point que  Toni adopte son propre geste cinématographique : avec un téléphone portable, il se filme lui-même et ce qui l’entoure. Il crée des images libres, aussi extrêmes que son environnement, et les couleurs explosent à l’écran, inspirées des contes et légendes que lui racontent ses grands-mères à la maison. Je voulais donner toute son importance à la parole, à la valeur du récit en lui-même ; en travaillant avec les acteurs, nous avons tenu à préserver leur façon de parler, avec toutes ses nuances. Esthétiquement, nous voulions créer de l’espace pour découvrir de nouvelles images libres, et laisser place au mystère : rester proches des personnages sans jamais les devancer.