Entretien avec Carmen Leroi, réalisatrice de Donne Batterie

par Raphaëlle Pireyre

« Ce qui, dans le cadeau reçu, échangé, oblige, c'est que la chose reçue n'est pas inerte. Même abandonnée par le donateur, elle est encore quelque chose de lui » comme une mise en application pratique de l’Essai sur le don de Marcel Mauss, Donne batterie est un petit traité d’anthropologie du quotidien qui vire à l’absurde. Lila veut faire acte de générosité en donnant la batterie de son ex, mais se trouve prise au piège de ses propres contradictions. À ce jeu du don et du hasard, l’imprévu retourne à l’envoyeur cet instrument dont finalement personne ne joue et cette fable morale rappelle que la valeur de l’objet, ce n’est pas son prix.

Entretien avec Carmen Leroi

Une comédie morale et cocasse sur le don  

En donnant un objet sur Leboncoin, je me suis retrouvée à me poser des questions qui m’ont inspirée cette histoire. Ces questions que je me posais à moi-même, comme deux voix d'un dialogue intérieur, sont devenues deux personnages, Lila et Agathe, au tempérament très différent.

J’avais par ailleurs comme inspiration Quatre Aventures de Reinette et Mirabelle d’Éric Rohmer, qui met en scène deux amies discutant de questions matérielles et morales (donner aux mendiants, voler dans un magasin). Pour ma part la question du don m'intéressait particulièrement : que se cache-t-il derrière ce geste de donner ? Est-ce un témoignage de pure générosité désintéressée ? Est-ce pour se donner bonne conscience ? Implique-t-il un contre-don ? Lila tient à faire un acte généreux mais dès lors qu'elle poste son annonce sur Internet, elle fait face à des questions pratiques et difficultés morales, et se retrouve dans des situations de plus en plus folles. J’ai tiré le fil de ces situations, n'hésitant pas à les pousser à l’extrême, afin de confronter les personnages à leurs idées et contradictions… Par ailleurs, les comédiennes n'ont pas hésité à y aller à fond dans l'incarnation de ces personnages hauts en couleur. D’où le sentiment parfois d’absurdité, ou de grande fantaisie.

Le 13ème arrondissement de Paris

J'habite le 13e arrondissement et je trouve ce quartier cinématographique car très varié. J’adore ses grands immeubles qui ne ressemblent pas au Paris typique. Comme l'intrigue est assez dense, nous avons décidé au montage d'ajouter des vues de ces immeubles (que nous avons re-tourné) qui lui apportent une atmosphère et de la perspective. J'imagine que c'est pour contraster avec l'austérité de ces grands immeubles que le quartier est parsemé de touches de couleurs (nombreux murs peints, street art). Cela a dû nous inspirer et en préparant le film, nous sommes devenus attentifs à cela, nous nous sommes mis à rechercher dans les décors et costumes ces touches colorées (mur jaune, grilles vertes, pont bleu, etc) qui maintenant donnent une identité visuelle au film.

La musique

Au montage, j’ai pensé à Maher Shalal Hash Baz, un groupe japonais avec beaucoup de musiciens, dont j’aime l'aspect de petite fanfare amateur. Ils composent des mélodies naïves, faites de couacs, de fausses notes, donnant l'illusion d'être élaborées de façon malabile, mais dont il émane quelque chose de très touchant et gracieux.

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