Entretien avec Alexe Poukine, réalisatrice de Kika
par Ava Cahen
par Ava Cahen
Après Sans frapper (2019), son premier long métrage documentaire, Alexe Poukine s’engage dans la voie de la fiction avec Kika, drame coup de poing qui raconte la précarité économique et émotionnelle dans laquelle se trouve une assistante sociale (et maman solo) suite à un grand malheur dont elle ne parvient pas à se relever.
Entretien avec Alexe Poukine
J'ai envie de réaliser de la fiction depuis que j'ai vu Pretty Woman en salle à l'âge de 8 ans. Mais venant d'un milieu très éloigné du cinéma et de l'art en général, j'ai pris des chemins un peu tortueux pour semer mon sentiment d'illégitimité. Pour moi, Kika est un peu la suite de Palma. Dans ce premier court métrage de fiction, j'ai remis en scène une période de ma vie où je vivais seule avec ma fille dans une situation financière précaire. À cette époque, ayant quatre mois de loyer de retard, j'ai commencé à passer en revue les possibilités de gagner de l'argent rapidement. Une option alors parfaitement inenvisageable m'a traversé l'esprit : la seule chose monnayable qui m'appartenait encore était mon corps. Mais étais-je capable de vendre des services sexuels ? Et lesquels ? Et comment devient-on travailleuse du sexe ? Grâce au financement de mon second documentaire, je n'ai pas eu à répondre de façon concrète à ces questions. D'une certaine façon, Kika est la femme que j'imagine que j'aurais été, si je n'étais pas devenue réalisatrice.
Pour moi, Kika est une femme d'une grande gentillesse qui fonctionne constamment en surrégime. Elle utilise le second degré comme un mécanisme de défense, elle est un peu à côté de ce qu'elle vit, comme si elle ne pouvait affronter la réalité que de biais. D'une certaine façon, Kika performe en permanence, elle contrôle ses émotions et son environnement. J'ai cherché celle qui interpréterait le rôle de Kika pendant presque deux ans. Des comédiennes connues ou non professionnelles ont passé le casting en France et en Belgique. Au vu du parcours singulier de Kika, il fallait qu'elle soit suffisamment attachante pour que les spectatrices et spectateurs continuent à s'identifier à elle, même lorsqu'elle s'embarque dans une voie peu banale. Quand Youna De Peretti, la directrice de casting, m'a proposé de rencontrer Manon, j'imaginais une femme plus âgée et moins belle. Mais dès que je l'ai vue en essais, il était évident que ce serait elle. Je crois qu'il y a entre Manon et moi une grande confiance. C'est une comédienne hyper généreuse et extrêmement précise, avec une grande force de propositions.
N'ayant pas été formée en fiction et n'ayant jamais travaillé sur d'autres tournages que les miens, pour ce premier long métrage de fiction, j'ai appris en tâtonnant. En tant que documentariste, mon travail est de trouver le point de vue le plus pertinent pour observer la réalité. J'ai mis du temps à prendre une attitude moins attentiste vis-à-vis de ce qui existe déjà, moins respectueuse de la réalité, à comprendre qu'en fiction, parfois, la réalité est moins crédible et moins forte que ce qui est fabriqué.