Entretien avec Agnès Patron, réalisatrice d'Une Fugue
par Esther Brejon
par Esther Brejon
Exploration de la nuit et de ses secrets, Une fugue est un récit sensoriel, haletant et inquiétant, l’histoire d’une perte, qui évoque avec sensibilité le souvenir de l’enfant qui demeure en nous. Dans ce film nocturne porté par une animation dynamique, Agnès Patron nous embarque dans un trip aux couleurs sombres d’où émergent des pointes de lumière, un monde de l’interdit, où l’évasion entre forêt et lac constitue un moyen de se réapproprier la nuit.
Entretien avec Agnès Patron
Comment avez-vous imaginé cette histoire de fugue entre une petite fille et son grand frère ?
En 2020, pendant le confinement, ma fille est née, j'avais déjà un fils et j'ai eu tout le temps d'observer la relation qui se tissait entre eux, j'ai trouvé ça très beau. Ayant moi-même un frère, j'ai eu envie d'écrire sur la fratrie. En travaillant avec Johanna Krawczyk, ma co-scénariste, on s'est rendu compte que je parlais d'une histoire qui était plus ancienne, celle de ma grand-mère, qui avait un frère de neuf ans de plus qu'elle, qu'elle adorait et qui est mort tragiquement dans un accident de la route. Elle a toujours porté ce frère en elle. Par ailleurs, il y a cette part chez moi qui est restée du côté de l'enfance, du merveilleux de l'enfance et de sa perte irrémédiable au moment du passage à l'âge adulte.
Une fugue est un film nocturne où prédominent des couleurs sombres. Qu'est-ce qui vous plaît tant dans l'exploration des couleurs de la nuit ?
A l'origine, je viens du noir et blanc, j'ai fait beaucoup de gravures à l'EnsAD et mes premiers films d'animation sont en noir et blanc. Ensuite, j'ai doucement viré vers la couleur, mais vers une couleur très sombre. Ce que j'ai aimé explorer dans ce film c'est le contraste des personnages avec le décor. Les enfants sont en maillot de bain, leur peau est très blanche, presque phosphorescente. Au-delà des couleurs, l'univers de la nuit me semble propice au rêve, à l'imaginaire et à une perception du temps très particulière.
À quel moment avez-vous décidé de ne pas donner de voix à vos personnages?
J'ai parfois des difficultés avec la façon dont les voix peuvent émerger sur du dessin, c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais dialogué mes films. Mon langage d'animation et de cinéma se fait dans le silence. Je n'ai jamais envisagé la possibilité que les enfants parlent, ce qui rajoute, selon moi, quelque chose d’étrange, il y a du mystère dans ce silence. Ça va avec le fait que c'est un souvenir et que ce n'est pas exactement la réalité.
La musique occupe une place fondamentale dans votre film. Comment avez-vous travaillé avec le compositeur Pierre Oberkampf ?
Mon processus habituel, qui est de monter sur la musique de Pierre Oberkampf, s’est inversé sur ce film car j'avais besoin de trouver le bon rythme en dehors de la musique. J’ai dit à Pierre que je ferais d’abord le montage et qu'il composerait la musique ensuite. Je savais très tôt que je voulais des voix qui racontent l'intériorité des personnages, que ce soit la voix du frère et de la sœur qui s'entremêlent dans un chant très doux, ou bien en contrepoint les voix de la forêt qui sont plus grandioses, presque comme des cris.