60 ans d'avenirs

Regard Critique : Diamantino

Satire loufoque et délirante

par Danielle Attali

En 2018, la Semaine de la Critique découvrait Diamantino, loufoque satire sociale, doublée d’une histoire d’amour, qui remporta le Grand Prix Nespresso.

Quelques semaines avant l’ouverture de la 57e Semaine de la Critique, Charles Tesson, délégué général, avec son équipe dont je faisais alors partie, finalisait sa sélection. Dernière discussion du vendredi matin, où nous avions sans doute le regard brouillé et rougi par le visionnage des 1100 films partagés. Réunis autour d’une table recouverte de carnets, stylos, papiers, téléphones, ordinateurs, on se claquait la bise (c’était encore possible), en buvant un café et en grignotant quelques biscuits secs. Le « cas » Diamantino ne suscita ni débat ni passe d’armes. Juste de l’enthousiasme. On était à l’unisson pour dire tout le bien que nous pensions de ce film portugais signé Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt.

Comment ne pas craquer devant cette œuvre tendrement kitsch, cette histoire d’amour invraisemblable, ce capharnaüm d’idées et de trouvailles visuelles ? Comment ne pas être ému devant ce héros fragile, « Tino », icône du foot portugais et international, resté un enfant de dix ans dans son corps d’athlète ? L’acteur Carloto Cotta compose parfaitement ce faux Cristiano Ronaldo candide et attachant, qui voit des petits chiens poilus courir sur un tapis de nuages roses au moment de marquer un but. Un roi du ballon rond brutalement déchu, sur un coup de pied raté en pleine coupe du monde. « Tino », l’idole, devient la bête noire des supporters et du Portugal tout entier, en plus d’être manipulé par ses deux sœurs assoiffées d’argent, telles des Anastasie et Javotte échappées de Cendrillon.

Comédie sentimentale, drame, film de science-fiction, Diamantino a des échappées queer, et convoque des personnages extravagants, comme une agente des services secrets déguisée en jeune réfugié, une ministre raciste, ou encore une Doctor Evil obsédée par les manipulations génétiques… Ce barnum psychédélique, cinématographique et scénaristique n’en reste pas moins maitrisé. Riches de leur mixité américano-portugaise, les réalisateurs y disent leur amour du cinéma au-delà de leur vision du monde. Ils revendiquent leur goût pour Andy Warhol, la Pop Culture, les classiques hollywoodiens de Preston Sturges à Ernst Lubitsch, et des écrits moins populaires qui les ont inspirés. Le film cavale sans filet et on l’adore.

Hilarant, satirique, émouvant, Diamantino dresse le décorum perverti d’un monde en vrac, aveuglé par le star-système, la montée des extrêmes, l’argent, le pouvoir. La religion et l’art y ont été détrônés par le foot, les célébrités adoptent des migrants pour se donner bonne conscience, l’Europe a éclaté. « Michel-Ange est mort, il n’y aura plus de nouvelle chapelle Sixtine », dit la voix off. Bienvenue aux paradis fiscaux, aux drones, à la fin de la vie privée, aux dérives scientifiques. « On voulait faire une comédie romantique qui parle du monde d’aujourd’hui », affirment les cinéastes, qui ont cogité pendant huit ans sur le sujet. Un pari réussi.

Quand la parenthèse virale que nous vivons ne sera plus, quand demain redeviendra comme hier, on retrouvera sans doute le star-système, le foot, le drame des migrants, les extrêmes, et pourquoi pas… l’amour.