À propos de Via Dolorosa
par Marie-Pauline Mollaret
par Marie-Pauline Mollaret
L’animation vibrante, âpre et spontanée de Via Dolorosa dévoile un portrait punk et contrasté de Jérusalem, en même temps qu’elle évoque les souvenirs d’adolescence de sa réalisatrice. Un foisonnant système de traits, de silhouettes, de bribes et d’échos composites irriguent le film, semblant parfois imiter les fluctuations de la mémoire, et faisant résonner les souvenirs du passé avec les réalités captées aujourd'hui. Rachel Gutgarts propose ainsi une déambulation éminemment personnelle, qui parvient à la fois à faire revivre une expérience intime et à saisir les multiples physionomies de la ville elle-même, mosaïque contrastée de sons, d’images, de lumières et de mouvements.
Entretien avec Rachel Gutgarts
Quelle est la genèse du projet ?
L’idée du film m’est venue alors que je faisais la queue au supermarché ; quelques ados essayaient d’acheter des bières et aucun d’eux n’avait sa carte d’identité, donc le caissier n’a pas pu les leur vendre. Cette banale expérience d’adolescent a fortement résonné en moi, elle m’a rappelé mon adolescence dont je me souviens comme une période plutôt difficile de ma vie.
Via Dolorosa me semble être un documentaire très personnel, une histoire de votre « jeunesse perdue » dans les rues de Jérusalem. Quelle est la part d’autobiographie et de fiction dans votre film ?
Le film est en effet très personnel. Je l’ai écrit avec Einat Gaulan, ma meilleure amie depuis qu’on est adolescentes. On a passé beaucoup de temps à essayer de recréer les souvenirs de cette époque et à les rassembler en une seule nuit qui serait une allégorie. Avec des amis, je suis aussi retournée dans les endroits où on allait et j’ai interviewé des adolescents qui traînent là-bas.
Dans le film, le ressenti des ados qui grandissent dans cette ville fusionne avec ce qu’on a filmé alors qu’on se baladait dans les rues la nuit. J’ai recréé certains « rituels » d’adolescents, et leurs nuances : comme jouer avec un briquet jusqu’à ce que mes doigts me brûlent ou monter sur le toit de mon école.
J’essayais de me refaire une idée d’une certaine atmosphère dont je me souviens. Il n’y a pas beaucoup de fiction dans le film, c’est principalement autobiographique, mais il prend appui sur des prises de vue récentes. Je dirais que j’ai plutôt essayé de proposer un point de vue subjectif de ce que signifie grandir dans une ville comme Jérusalem.
Vous dressez également un portrait puissant de Jérusalem. Que vouliez-vous nous dire à propos de cette ville ?
Mon père dit toujours que les habitants de toute vieille ville, comme Jérusalem, portent le poids de son histoire sur leur dos. C’est cela que je voulais exprimer à l’écran ; tout au long du film, on retrouve de nombreux signes religieux et une iconographie qui font référence à la longue histoire des conquêtes de la ville de Jérusalem.
Jérusalem est depuis longtemps, et demeure à ce jour, divisée entre différents groupes et sous-groupes de minorités religieuses. Chacun a ses propres croyances et ses rituels, chacun revendique un coin de la ville. J’ai grandi au milieu de ces lieux sacrés, et j’aime jouer avec le sacré, comme quand j’étais adolescente, et je tente de comprendre ce qui est sacré pour moi.
Avec Aviv Stern, le compositeur, on a tenté de recréer les sons si particuliers de Jérusalem grâce à des enregistrements qu’on a effectués sur place, afin de capturer l’ambiance de la ville. On a également fait des prises de sons en direct des petites salles de concert “punk/noise”, un sous-groupe qui n’existe que dans cette ville et dont je me sens particulièrement proche.
Pouvez-vous nous dire quelques mots à propos de vos choix esthétiques et des techniques d’animation que vous avez utilisées ?
L’animation est un outil que j’utilise pour créer des points de vue subjectifs qui viennent interpréter les prises de vue réelles. Ça me permet de créer des moments intimes avec des gens et des situations tout en conservant leur anonymat.
Mon partenaire Noam Horowitz a développé cette technique, qui est une nouvelle étape d’une technique utilisée dans mon film précédent, A Love Letter to the One I Made up. On a créé des masques et des textures superposés à l’animation en utilisant un procédé gélatino-argentique.
Puisque tout le film se déroule en une seule nuit, et au regard de la technique choisie, la lumière m’est naturellement apparue comme l’élément visuel principal. Dans le film, c’est la lumière qui nous guide ; elle identifie et questionne ce qui est sacré. Travailler avec des matériaux analogues a rendu cette recherche très viscérale, la matière photosensible donne de la dimension à ces idées abstraites.