À propos de Pleure pas Gabriel

par Marie-Pauline Mollaret

“Il y a des gens qui ne tomberont jamais, mais ça, ça les regarde.” Dans cette comédie romantique moderne et contemporaine, aux punchlines d’anthologie, Mathilde Chavanne affirme le droit d’être triste, de se casser la gueule, et de ne surtout pas être un winner obsédé par la réussite. En bref : d’être terriblement humain, à l’image de ses personnages ultra-attachants avec lesquels on a envie de chanter, de rire, et de crier, comme une forme on ne peut plus ludique de rééducation au bonheur. 

 Entretien avec Mathilde Chavanne

« Pleure pas Gabriel est né du désir de mettre en scène la dépression avec humour, de la montrer à l’épreuve du quotidien. Lorsqu’on rencontre le personnage de Gabriel, il n’est probablement pas en forme depuis un moment, mais le film s’ouvre sur cet instant où quelque chose lâche, l’émotion le submerge. Quand on est triste, on est plus lent, plus figé, on n'est plus tout à fait dans le même espace-temps que les autres, pourtant on vit bien dans le même monde qu’eux. Ça crée des décalages, des situations absurdes propices à la comédie, et le rire est une belle passerelle pour accéder aux larmes, pour gratter à l'intérieur, l’air de rien…

Je crois que l’humour est mon langage quotidien et j’étais frustrée, avant ce film, de n’avoir pas encore réussi à le faire exister dans mes fictions. Dans son livre Autoportrait, Edouard Levé dit : “Comme je suis drôle, on me croit heureux.”. En réalité, c’est assez courant que les gens tristes aient beaucoup d’humour, c’est une arme, une armure. L’humour permet, quand on en a besoin, de se tenir un peu à distance de nous-mêmes, à côté plutôt qu’à l'intérieur. Faire une comédie sur un sentiment de tristesse, c’est ça aussi. C’est réfléchir à comment ne pas être littéral. Comment décoller le ton du film de son propos. Ça passe par l’écriture, par les choix de casting, par le jeu, l'image, par le montage aussi, beaucoup !

Je n’invente rien en le disant, mais l’intime est politique, et le politique agit sur l'intime. A part quelques personnes, comme des fois celles qui nous gouvernent, on vit à l'intérieur d’un monde, pas en dehors, alors évidemment, ce monde influe sur nous. 

La scène initialement prévue comme scène d’ouverture du film a été coupée, parce qu’elle ne s’insérait pas dans sa narration, mais cette scène se jouait devant un mur sur lequel il était écrit “Pays de droite, Pays de merde”. J’adorais que cette phrase apparaisse dans les 30 premières secondes du film, comme un statement, parce que je trouve que toutes les occasions sont bonnes pour le dire. Ceci dit, désormais on rentre dans le film par Gabriel, et le Monde arrive petit à petit, c'est moins frontal, et je pense que c'est mieux.

Le contexte social du film, c’est celui dans lequel on évolue, et la situation de crise actuelle en France va dans ce sens. En gros, avoir un chagrin d’amour, c’est nul, avoir un chagrin d’amour et du mal à payer son loyer, c’est encore plus nul, avoir un chagrin d’amour, du mal à payer son loyer et un président qui vous dénigre, c’est encore, encore plus nul, etc. Au bout d'un moment, le vase déborde.

Les passages chantés sont venus tout seuls à l’écriture. J’écrivais la scène des pompiers, avec ce personnage encombré par lui-même, pas tout à fait capable d’exprimer ce qui ne va pas, et je me suis dit : “Et s'il se mettait à chanter ?” La chanson devient une possibilité pour lui de nous dire ce qu’il ressent, avec des mots qui sont presque des mots d’enfants, des paroles naïves, hyper sincères.

J’imaginais les moments chantés comme des hors-champ / hors-temps dans le film, un élan du personnage à la fois vers lui-même et vers nous. En fait je crois que des fois c’est très libérateur de se donner le droit de penser et de dire des choses simples, au premier degré, quitte à avoir l’air bête. A l'image, les chansons sont les deux seuls moments du film filmés au stead, le mouvement est plus lent et plus doux. Ce sont des bulles, deux pages dans des journaux intimes.»



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