À propos de Midnight Skin

par Marie-Pauline Mollaret

Film de genre ambitieux et sophistiqué, Midnight skin accompagne à distance la soudaine métamorphose végétale de son personnage principal, mettant en scène avec une maîtrise insigne la manière dont ses rêves contaminent peu à peu la réalité. Abandonnant vite la piste du thriller scientifique pour mieux emprunter celle du conte existentiel, il nous plonge au cœur de la solitude urbaine et révèle le désir intact qui affleure sous l’écorce de l’habitude. 

Entretien avec Manolis Mavris

« Le film est une réflexion sur la peur de l’isolement et un commentaire de l’acceptation de l’identité du sujet. L’idée du film provient d’un cauchemar que ma mère m’a décrit. Dans son rêve, certaines parties du corps s’étaient transformées en branches d’arbre. Avant de se réveiller et de reprendre ses esprits, dans une phase transitoire conscience et inconscience, elle n’arrivait pas à se souvenir comment fonctionnait le corps humain. À partir de cette idée, j’ai créé une histoire dans laquelle le cauchemar de l'héroïne dépasse les limites de l’imaginaire et contamine sa réalité. 

Avec le recul, quand je regarde mon travail, j’y vois des thèmes et des schémas auxquels je fais appel presque instinctivement. Jusqu’à présent, mes films ont l’air de tourner autour des mêmes sujets: la solitude et le lien entre l’imaginaire et le réel. Fanny (la protagoniste) est une personne solitaire qui “abandonne” sa nature humaine et finit par accepter “une nouvelle façon de vivre”. Elle se transforme petit à petit en arbre. Prenant le sentiment d’aliénation comme point de départ, le film est une allégorie de la difficulté que ressent l’être humain à prendre conscience de qui il est. 

La métamorphose opère à travers ce cauchemar récurrent, qui est le produit de son subconscient. Il ressemble à une maladie auto-immune qui se manifeste à travers les symptômes de sa solitude. Sa réaction face à l’inéluctable la pousse à forger des relations. Fanny se retrouve “violemment” forcée de sortir de sa maison et de chercher à communiquer avec les autres. Dans son “périple”, Fanny se rend compte qu’il s’agit là d’une évolution naturelle qu’elle ne peut réprimer, elle ne peut que l’accepter et la comprendre. 

Ce personnage résonne beaucoup avec moi. C’est quelqu’un qui ne se démarque pas, elle se sent aliénée et n’a pas de vraies relations avec les autres. C’est l’histoire d’une discrète. 

Les thrillers psychologiques m’ont toujours intéressé. Le suspens est un élément très fort dans Midnight Skin. Les couches narratives apparaissent de manière cryptique et à doses homéopathiques afin de faire naître chez le spectateur le besoin d‘anticiper et de le tourmenter avec ce qui va bien pouvoir se passer ensuite. 

Le cauchemardesque et la sensation de confinement m’intriguent, mais il ne n’agit pas uniquement de cela. Ce qui m’intéresse dans le cinéma que j’aspire à réaliser, c’est de proposer une transition d’un genre à un autre. Par exemple, si Midnight Skin commence comme un thriller psychologique, le ton change au milieu du film. Quand l’héroïne se promène dans Athènes, le rythme se ralentit, le film devient alors plus poétique et l’histoire prend une dimension philosophique et existentielle. De la même manière, Brutalia était un mélange de différents genres cinématographiques : il y avait du thriller, de la comédie grinçante, et un peu de comédie musicale. Ce choix constitue une identité cinématographique qui va avec ma personnalité et des sautes d’humeur constantes.  

En terme de vocabulaire visuel, le film utilise des images de corps humain qui sont mélangées et mises en parallèle avec des montages de détails d’arbres. On voit des opérations chirurgicales, on se concentre sur des blessures humaines, la caméra filme le flux sanguin qui coule dans les veines. Les fonctions biologiques du corps humain sont filmées de manière abstraite et se juxtaposent aux fonctions biologiques végétales : on fait un parallèle entre l’intérieur de la peau et l’écorce de l’arbre, les fonctions internes du corps humain et les racines de l’arbre. 

Comme dans tous mes films, le storyboard complet était fini avant le tournage de Midnight Skin. Tous les plans avaient été définis à l’avance, bien avant le tournage. Dans la plupart des scènes, la caméra est cachée derrière quelque chose (une fenêtre ou un meuble), afin d’observer le personnage à une certaine distance, ce qui nous donne l’impression que le protagoniste est suivi.»



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