À propos de Locust

par Olivier Pélisson

Élégance de mise en scène. Brio de narration. Charisme des interprètes. Ce premier long métrage allie maîtrise et lyrisme. Entre trajet initiatique, romantisme et film de genre, Keff apporte sa touche artistique sur sa terre d’origine. Réalisme et esthétique pop se donnent la main pour raconter la survie, la violence, le cœur qui bat, et la jeunesse qui crie sa rage de vivre. Une déclaration d’amour à Taïwan et au cinéma.

Entretien avec KEFF

Je suis revenu vivre à Taiwan à l’été 2019, pendant les manifestations à Hong Kong. C’était une époque étrange pour redécouvrir mon pays de naissance (mes parents sont tous les deux nés et ont grandi à Taïwan, et ils m’ont élevé comme un taïwanais), surtout avec mes yeux d’enfant de troisième culture : j’ai pu vivre, observer et digérer les choses en tant que Taïwanais mais aussi en tant qu’étranger, voyant les choses des deux points de vue. 

Après un ou deux ans à vivre un peu partout sur l’île à écouter des centains d’histoires taïwanaises, provenant surtout de jeunes, j’ai senti qu’il y avait une opportunité et une véritable urgence à raconter ces histoires en leur nom, tout en tentant de répondre à une question qui ne cessait de me brûler de l’intérieur: “Pourquoi plus de taïwanais ne préoccupent-ils pas de ce qui se passe à Hong Kong ?” Locust est le résultat de cette expérience et je pense qu’en cherchant ces réponses on a pu sonder les profondeurs de l’âme taïwanaise, mettre au jour des révélations et des connexions surprenantes, ainsi que des problématiques encore plus importantes, universelles qui touchent au pouvoir, à l’exploitation et à la nature humaine.  

J’adore les films de genre parce qu’il y a quelque chose de très punk et rebelle dans leurs excès, leur mauvais goût et leur anticonformisme qui résonne en moi et avec qui je suis. Dans mes films, je me retrouve souvent à défier l’ordre établi et à provoquer mon public, d’une manière ou d’une autre ; c’est donc très agréable de se reposer sur le genre et ses conventions, surtout quand je veux créer une hyperbole et exprimer des sensations ou des idées de manière plus mordante et plus intéressante. J’adore les films de triades typiquement hongkongais, bien sûr, mais ce qui m’inspire surtout c’est le romantisme de son cinéma, plus que ses films d’action.
 

Le principe clé quant à l’esthétique du film est de se concentrer sur Taïwan, ses couleurs, ses sons et ses visages, et d’intervenir le moins possible. Nous avons tâché de servir au mieux le monde, les personnages et l’histoire, et évité les choix artistiques qui nous paraissaient tape-à-l’oeil ou cherchaient à attirer l’attention sur nos propres contributions. On a en particulier cherché des objectifs qui ne causaient que peu ou pas de flare, de distorsion ou de focus breathing. 


J’ai rencontré tant de jeunes voix taïwanaises débordantes de fraïcheur et de vie, qui ont une folle envie de raconter de nouvelles histoires formidables qu’eux seuls peuvent raconter. C’est juste qu’ils ont vraiment besoin de soutien, de ressources et d'opportunités. J’espère que des films comme Locust permettront à ce que l’étranger s’intéresse et s’investisse davantage dans le cinéma taïwanais, mais le soutien doit aussi continuer de venir de Taïwan : les producteurs, le gouvernement, les agences, les financeurs et les boîtes de production. Acceptez ce qu’il y a de nouveau, de différent et de courageux. Et, s’il vous plaît, laissez les moins de 35 ans réaliser des longs métrages ! Sinon le “jeune” cinéma taïwanais n’est pas jeune du tout.

À la Semaine de la Critique

Locust

2024

Long métrage

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