À propos de La Jauría

par Bruno Icher

Ce sont des enfants et ce sont des assassins. Des adolescents comme la Colombie en compte par milliers, chair à canon des gangs et des trafiquants, gibier de prison pour des autorités dépassées depuis longtemps. Dans le huis-clos d’une expérience semi-carcérale, l’heure du choix a sonné pour une meute (Jauría) de ces jeunes garçons en perdition. La rédemption et l’hypothèse d’une existence misérable, sans drogue, sans violence mais sans espoir. Ou le retour au chaos, à la fureur de la rue et aux illusions puériles d’un avenir de princes du crime où plane l’odeur enivrante du sang et de la mort.

Entretien avec Andrés Ramírez Pulido

« La Jauría est dans la continuité de mes courts-métrages, El Eden (Berlin) et Damiana (Cannes) qui s’attachent aussi à l’importance de la figure paternelle, et aux thèmes de l’abandon, de la violence ou de l’absence d’un père qui marquent un enfant de manière indélébile. Il s’agit ici de l’histoire d’un adolescent, Eliu, et avec lui de toute une génération, dont la relation de haine et de mort avec son père le plonge dans un cercle de violence. La question que pose le film est comment un enfant peut-il s’affranchir d’un héritage qui l’imprègne au plus profond de lui ?

J’ai donc imaginé cette prison, hors du temps, où les adolescents seraient accompagnés par un thérapeute. C’est un lieu qui n’existe pas en Colombie, mais mes rencontres avec des jeunes incarcérés, pour leurs addictions ou des crimes, ont fourni la matière de cette pure fiction qui s’affranchit d’un naturalisme social beaucoup exploré par le cinéma d’Amérique latine. Je voulais aussi que le film porte les traces d’un passé corrompu par la violence, une sorte de paradis perdu où les gamins doivent vivre aujourd’hui. 

À travers ce jeune homme qui se débat avec sa culpabilité, je voulais que cette histoire connecte le spectateur à sa propre humanité. Mon idée était d’accompagner Eliu dans son voyage vers la lumière et de le connecter à quelque chose d’immatériel, comme une rencontre avec l’invisible. Et c’est bien ce qu’est le cinéma, une passerelle entre le monde visible et invisible, entre ce que nous sommes et ce que nous pourrions devenir. Une fenêtre sur ce qui n’existe pas encore. »