À propos de 1996 ou les Malheurs de Solveig

par Thomas Fouet

Plutôt que de feinter les motifs du teen-movie (ainsi, de la quête du premier baiser...), ou d'éluder la dimension nostalgique de son récit, Lucie Borleteau les assume, pour mieux les investir d'un matériau intime, et faire dialoguer le film d'époque – 1996, c'était hier, et c'était il y a un siècle – avec des corps contemporains, ceux de ses jeunes interprètes, pour rappeler tout à la fois la légèreté et la gravité propres à l'adolescence, les vertus fondatrices de l'amitié et le charme décisif des premiers émois amoureux. La fin, bouleversante lettre d'amour à la – et à sa propre – jeunesse, confirme, si besoin en était, que le cinéma, pour l'autrice, fut, très tôt, bien plus qu'une option.

Entretien avec Lucie Borleteau

Comment vous est venue l'envie de faire ce film ?

Le film est né de la proposition du lycée Romain Rolland, en partenariat avec la ville d'Ivry et son cinéma le Luxy, de réaliser un film avec la classe de première spécialité cinéma. Très vite, je me suis dit que je voulais faire jouer les élèves, et les éloigner de leur quotidien avec des personnages de fiction, dans un film se situant à une époque qu'ils n'avaient pas connue, dix ans avant leur naissance : l'année 1996, où j'étais moi-même élève en première option cinéma. Je me suis lancée sur une variation autour d'un thème qui m'est cher, le désir féminin, à la hauteur d'une jeune fille de 16 ans : la quête du premier baiser, avec tendresse et gravité, à un âge où on se sent toujours en retard par rapport aux autres.

Aviez-vous à cœur de jouer avec les codes – pour vous les approprier ? –, du teen-movie / coming-of-age ? Aviez-vous des références à l'esprit ?

Tandis que j'écrivais mon scénario, j'ai partagé avec la classe, comme je le fais habituellement avec mon équipe, plusieurs films qui nous plongent dans l'adolescence des cinéastes, de Lvovsky à Sattouf, de Mazuy à Klapisch, en passant par Fellini. Petites ou Le Péril jeune sont d'ailleurs des films que j'ai regardés en boucle en VHS quand j'étais ado. J'avais aussi envie d'aller plus loin dans le jeu entre plusieurs époques et nous avons revu Peggy Sue s'est mariée ou Retour vers le futur. Tout cela m'a certainement influencée. Mais je me suis aussi replongée dans mes archives personnelles : lettres, agendas, photos, conversations avec les ami.es... Certaines scènes sont fabriquées à la manière des films de Sophie Letourneur, avec pas mal de matériau intime.

Comment avez-vous œuvré à concevoir un film qui, tout à la fois, vous serait personnel, et implique les élèves de la classe ?

J'ai considéré que les élèves étaient des collaborateur.ices à part entière. Il y a eu des lectures du scénario à différentes étapes et j'ai mis à profit certaines remarques de la classe. Puis nous avons fait des essais filmés pour la distribution des rôles. C'est vraiment grâce à cette étape de travail que j'ai découvert qu'Angèle serait notre Solveig. Certains élèves qui n'avaient pas envie de jouer - voire d'être filmés - se sont impliqués, avec la complicité de leur prof, dans les décors et les costumes, avec toute une partie de recherche sur les années 90. D'autres ont secondé l'ingénieure du son ou le chef opérateur, avec une équipe réduite à l'essentiel et très peu de matériel. C'est un film sur lequel nous avons transformé toutes les contraintes en énergie créative, et sur lequel j'ai ressenti une liberté totale.

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