À propos de Dang Wo Wang Xiang Ni De Shi Hou (Regarde-moi)

par Marie-Pauline Mollaret

Dans ce qui s’apparente à un bouleversant journal intime, Shuli Huang confronte des images personnelles et familiales à des pensées introspectives, ponctuées par des bribes de conversations avec sa mère. La douceur du Super 8 et le bonheur apparent de ces scènes souvent baignées de soleil se heurtent à la complexité de leur relation, à la fois aimante et pleine d’incompréhension. Le film sonne alors comme une lettre d’adieu déchirante qui, en creux, dresse le portrait saisissant d’une société violemment obsédée par la norme, contraignant le principal protagoniste à n’être qu’une ombre vacillante jusque dans son propre film.

Entretien avec Shuli Huang

« Quand je suis rentrée en Chine de New York, pendant la pandémie, j’ai acheté une super caméra 8mm. Je l'emmenais partout avec moi, je filmais les gens qui m’entouraient, presque sans réelle intention en tête. Au bout d’un certain temps,  quand mon besoin de partager ma vérité avec ma famille est devenu trop fort, j’ai couché mes idées sur les pellicules qui s’entassaient dans ma valise et j’ai commencé à écrire la lettre qui germait en moi depuis des années. On a tourné pendant un an, par intermittence. 

Cependant, la vie est pleine d’incertitudes et de coïncidences. Le film semblait se faire lui-même. Au Nouvel An chinois 2021, j’ai eu une conversation avec ma mère qui, sans le vouloir, a complètement changé le narratif de mon film, et ma vie. Pendant cette conversation, j’ai regardé ma mère pour la première fois depuis des années. J’y ai vu des peurs et des douleurs profondes dans ses yeux, où ma parole et mes mots ne raisonnaient pas. C’est à ce moment-là que je me suis rendu copte que le film pouvait être la réponse que j’attendais. 

Et c’est à partir de là que le film a commencé à prendre forme. Les textes me venaient facilement et librement à partir du montage des images. Et à l’inverse, les textes venus de ces images ouvraient de nouvelles possibilités de création d’images. Et donc j’ai continué le tournage pendant l’écriture du scénario et le montage. Tout évolue naturellement. C’était un processus sans fin de questionnements et de révélations personnelles devant la caméra. J'avais presque l’impression qu’il s’agissait d’une plongée au fond d’une conversation à cœur ouvert avec moi-même et une longue baignade au fond de mes expériences et mes souvenirs, à la recherche de la vérité la plus crue, douloureuse et salvatrice. Quelque temps après que j’ai fini le film et lui ai dit au revoir, j’ai pu prendre un peu de recul et voir clairement l'ensemble du processus. Cependant, en tant que narrateur du film, réalisateur et être humain en cours de construction, je me sentais perdu, noyé, englouti par la brutalité des émotions, alors que j’essayais d’être moi, c’est tout. Je tourne encore à ce jour, tâchant simplement d’être honnête avec moi-même et avec le monde. Et je continue. »