C’est en spectateur critique des images et familier chamboulé de la station bruxelloise de métro Maalbeek qu’Ismaël Joffroy Chandoutis a abordé son film : « j’ai habité en face pendant longtemps et c’est la ligne que je prenais chaque matin. J’aurais pu y être le jour de l’attentat. Ce fut un état de sidération, à cause de la présence ensuite de dizaines de camions de régie télé en bas de chez moi pendant quinze jours. On a eu droit à des images sanglantes en boucle, des fake news, des soldats armés, à tous les ingrédients d’un climat ultra-anxiogène. J’ai commencé à rencontrer des gens, dont Sabine, touchés de près ou de loin par l’attentat, pour essayer de raconter une autre réalité, davantage libre et détachée de cette emprise médiatique. Elle ne se souvenait de rien, suite à son choc crânien. On a discuté de ce vide, d'une image qui lui manquait. A l'inverse, je lui ai parlé de ce trop-plein d'images que je ressentais, dont j'aurais voulu me débarrasser. J’ai compris à ce moment-là que le film allait être une sorte de portrait de Sabine, où l'enjeu de mise en scène se situerait dans la représentation de cette mémoire abîmée et fragmentée ».

Cette identification d’une femme crée l’univers mental de Sabine à coups de séquences animées : « il s'agit de questionner le reste de réel soumis à la mémoire pour retrouver image par image les lignes des lieux, des actions et les traits des personnes oubliées, pour donner au spectateur à voir au-delà du réel pour qu'il l'interroge, l'interprète, le reconstruise. Le traitement en animation 3D est réalisé à partir de prises de vue réelle et donne à voir des lieux fragmentés et incomplets, comme si l'image de ces souvenirs avaient eux aussi été soumis au choc physique de l'explosion du métro. Ces nuages de points, de braises, rendent compte de cette instabilité mentale qui parcourt le personnage principal, jusque dans sa représentation grésillante, voire incertaine. Maalbeek repose ainsi sur un double paradoxe : d'un côté rencontrer Sabine, qui n'a pas de souvenir d'un des événements les plus médiatisés en Belgique et de l'autre, l'idée de faire un film qui aurait pu être juste du noir, du grain qui bouge, sans même de narration, avec peut-être son visage qui apparaît par moments, nous regardant ou se regardant, scrutant dans le creux de ses cicatrices, l'idée vaine d'une mémoire collective. »