À propos de It's Nice in Here

par Damien Leblanc

D’emblée, It’s Nice in Here plonge dans la mémoire fragmentée d’une jeune fille noire, Imani, qui se remémore sa tendre amitié avec le fragile Crimson. Puis vient le témoignage, sombre et anxiogène, d’un officier de police inexpérimenté qui raconte la journée qui a mené à la mort du même Crimson. Par cet entrecroisement de souvenirs subjectifs, le néerlandais Robert-Jonathan Koeyers porte un regard bouleversant sur les violences policières et saisit, à travers une superbe animation jonchée de fantômes et de réminiscences, la tragique persistance des injustices raciales.

Entretien avec Robert-Jonathan Koeyers

« Lors de ma dernière année à l’Académie Willem de Kooning à Rotterdam, où j’étudiais l’animation, j’ai été confronté à la vidéo d’une femme qui faisait un streaming en direct de son petit ami se vidant de son sang sur le siège passager à côté d’elle. Ses appels et ses prières était parfois interrompus par l’officier de police qui se criait à lui-même en arrière-plan, avec un réelle panique dans la voix. J’avais l’impression que, en l’espace de quelques secondes, deux histoires complètement différentes se déroulaient en même temps. 

C’est devenu le point de départ de It’s Nice in Here où, plutôt que de donner des réponses concrètes, je voulais explorer la manière dont on raconte les histoires, les souvenirs (faussés) et qui finissent par être complètement déformés. Je voulais regarder au-delà de l’uniforme et du masque des personnages afin de trouver beauté, poésie, et douceur à des endroits que l’on a tendance à ignorer. 

Ces dernières années, je me suis surtout concentré sur des narrations racontées à partir d’une perspective Noire. Ces travaux incluent les courts métrages Black Tears (2020) et Here : A Visual poem (2019).

Dès le début, je savais que ça ne marcherait que si nous utilisions des juxtapositions et des contrastes convaincants. Vous pouvez voir cela dans la manière dont l’histoire est racontée par des témoignages contradictoires, et l’utilisation d’esthétiques diverses pendant tout le film. La vérité objective ne m’a jamais intéressé, je voulais plutôt explorer le désordre de la mémoire et la manière dont des réalités composées avec grande intention par chacun de nos personnages façonnent leur relation à leur monde, à leurs vérités, et au garçon qui se retrouve au milieu de tout ça. 

Bien sûr, la réalisation de ce film a été un processus long et intense, on a souvent passé des jours et parfois des semaines sur une prise sans jamais sentir qu’on était proche d’y arriver. Surtout parce que le film étant par nature tellement éparpillé et fragmenté, il nous était difficile parfois de nous dire que nous avancions.  

Mais après plusieurs années de recherche et de réflexion, ce film a vu le jour ; et après encore des années pour produire It’s Nice in Here, je suis absolument ravi de voir que tout a fini par se mettre en place. Voyant qu’au final tous nos choix fonctionnent en tandem, j’apprécie d’autant plus le dur travail effectué par l’ensemble de l’équipe qui a permis que ce film existe. »

À la Semaine de la Critique