À propos de A menina e o pote

par Marie-Pauline Mollaret

L'avènement d’un monde nouveau est au cœur de cette fable dystopique qui affirme haut et fort la puissance du féminin. Pour rêver cette renaissance, Valentina Homem recourt à de sublimes visions cosmogoniques transcendées par les effets de matière saisissants de la peinture sur verre. Porté par la voix envoûtante de la narratrice qui s’exprime en langue Nheengatu, ce récit aux accents ancestraux s’inscrit dans le contexte d’une menace écologique toujours plus grave, mais veut croire en la possibilité de sauver le passé pour réinventer l’avenir.

Entretien avec Valentina Homem

Le film repose sur un scénario puissant que vous avez vous-même écrit. D’où vous est-il venu et quelles sont les références culturelles et les symboles que vous y évoquer? 

Le scénario a été conçu à partir d’une nouvelle que j’ai écrite en 2012,  The Tale of the Void [Conte du vide]. Une parabole née d’une tentative cathartique de traduire mes expériences en tant que jeune adulte. 

Certains symboles qui structurent l’histoire sont des métaphores issues d’épisodes personnels de ma vie : le vase, quand il se casse, le vide à l’intérieur, la perte des contours, la recherche d’un couvercle et l’intégration au sein du vide du vase. Des années plus tard, j’ai fait des recherches sur la cosmogonie amérindienne et fait l’expérience des Plantes Sacrées de l’Amazonie, et je me suis rendu compte que, d’une certaine manière, la trajectoire de la Fille reproduisait l’initiation chamanique. Dans le film, je voulais insuffler à l’histoire des symboles qui ancrent la fille dans la culture amérindienne. J’ai donc invité l’anthropologue indigène Francy Baniwa à nous rejoindre comme consultante sur la narration et collaboratrice scénaristique. En plus des références à la consologie Baniwa, le scénario se réfère quelque peu à l’ouvrage fondateur de Davi Kopenawa Yanonmi, The Falling Sky [The Ciel qui Tombe].

C’est en langue Nheengatu. Pouvez-vous nous parler de cette langue et de votre choix? Quels liens entretenez-vous avec les populations indigènes au Brésil qui utilisent cette langue? 

Nheengatu, ou Lingua Geral (Langue Générale), s’est développée à partir d’une langue indigène sous l’influence européenne au XVIème siècle; elle est devenue l’une des langues les plus parlées sur le territoire brésilien. Plus tard, elle a été interdite, mais est restée la langue principale de certains groupes indigènes dans la région d’Alto Rio Negro. La Fille parle Nheengatu parce que c’est la langue maternelle de Francy Baniwa. Du fait de notre collaboration sur le film, Francy et moi avons commencé à collaborer sur un projet de femmes de sa communauté, Assunção do Içana : Amaronai: dignité menstruelle et génération de revenus, qui est lié symboliquement et politiquement à certains aspects du film.

Pouvez-vous nous parler de votre technique d’animation - une explosion de couleur et de matière ? 

La technique de la peinture sur verre utilisée dans le film reflète le périple de la Fille, puisqu’elle n’a de cesse de se transformer, permettant de fluidifier, de fondre et perdre les contours. Nous avons fait le choix de cette technique surtout parce qu’elle nous permettait de travailler avec des traces, qui sont explorées en crescendo: les deux premiers actes nous donnent de plus en plus d’indices de ce qui va prévaloir plus tard dans le troisième acte - une métamorphose permanente qui relie tout en un tout unique.

Votre film est non seulement beau, mais il exprime un message fort autour de la cosmogonie féminine et de la possibilité de créer un nouveau monde. Lui donner ainsi un sens clairement politique. Pourriez-vous nous parler un peu de cela? 

Le film est né au milieu de la présente dystopie continuelle dans laquelle nous vivons : la fin du monde est pour maintenant et non dans un lointain futur. La forêt amazonienne s’approche dangereusement du point de non retour, est-ce que nous allons nous en rendre compte quand il ne restera plus rien à voir? Je fais appel à l'autrice Eliane Brum: “Je veux vivre et je veux rester vivante, donc je me joins aux sages-femmes d’un monde où l’on peut vivre.” Ce film est le fruit de notre rêve collectif: notre rêve de forêt, d’être la forêt - sauver les souvenirs ancestraux, qui conserve ce qui va advenir. Les mythologies amérindiennes, contrairement à la pensée occidentale, ne conçoit pas un monde sans nous, donc je conçois notre époque comme une ère pré-cosmogonique, mais il est urgent de reboiser nos imaginaires.



À la Semaine de la Critique