L’histoire n’est pas donnée

par Farah Clémentine Dramani-Issifou

La cinéphilie, disait Serge Daney, ce n’est pas seulement un rapport particulier au cinéma, c’est plutôt un rapport au monde à travers le cinéma. Cette année, la programmation des courts métrages restitue au gré des films, le sens de la relation du cinéma au monde qui l’entoure, dans une démarche qui lie les gestes de création des cinéastes au contemporain. Car non, l’histoire n’est pas donnée : elle s’invente et s’écrit aussi à travers les films, la façon dont on les programme et qui les sélectionne. Cette sélection de courts est donc la promesse d’un cinéma présent et à venir.

En trois portraits politiques et poétiques, Raie Manta d’Anton Bialas est une ode puissante à la résistance et la liberté dans un Paris enflammé. De résistance, il est aussi question dans Cuerdas de la cinéaste espagnole Estibaliz Eurresola Solaguren. Avec sensibilité et pudeur, le film évoque le dilemme moral de Rita, 90 ans, et des membres de sa chorale pour continuer de chanter. It’s nice in here de Robert-Jonathan Koeyers est un film d’animation dont la douceur du trait vient mettre en lumière les violences policières à travers le témoignage bouleversant d’Imani. Sélection politique donc, où circule le désir comme dans I belong to me d’Evi Kalogiropoulou dans lequel les ouvriers d’un chantier naval grec ont l’interdiction formelle de se toucher. Un cinéma ludique et sensuel que l’on retrouve dans Swan dans le centre d’Iris Chassaigne, dérive d’une jeune consultante dans un centre commercial désert, où du vide ambiant né l’érotisme. La solitude moderne est également au cœur de Canker de Li Tu, qui suit le quotidien d’une influenceuse chinoise à la fois perdue et connectée. Une connexion perdue que cherche le couple bosniaque de I didn’t make it to love her d’Anna Fernandez de Paco, où la prose se déploie pour remplir les silences et absences liés à la dépression. Autre recherche d’intimité à l’autre bout du globe avec Will you look at me du chinois Shuli Huang, film-confession expérimental pensé comme un adieu à ceux qu’il aime mais qui ne le voient pas. Liens entre parents et enfants toujours, dans Ice merchants de João Gonzalez qui anime, grâce à une mise en scène vertigineuse, le quotidien d’un père et son fils, vendeurs de glace. Épopée familiale bouleversante et vénéneuse enfin dans Les Créatures qui fondent au soleil de Diego Cespedes qui suit Nataly, une femme trans affrontant son passé au sein d’une mystérieuse communauté fuyant le soleil.

Farah Clémentine Dramani-Issifou

Coordinatrice du comité court-métrage