Entretien avec Ratchapoom Boonbunchachoke, réalisateur de Pee Chai Dai Ka
par Olivier Pélisson
par Olivier Pélisson
Avec ce premier long métrage audacieux et libre, Ratchapoom Boonbunchachoke apporte une pierre précieuse à la vitalité actuelle du cinéma d’Asie du Sud-Est. Cette aventure réjouit par son mélange des genres, mû par une fervente croyance dans le septième art. Fantastique, conte, romance, comédie, horreur, politique, social et Queer se donnent la main dans ce film de fantômes et d’amour envoûtant.
Entretien avec Ratchapoom Boonbunchachoke
Comme d’autres réalisateurs, j’ai mis mes divers centres d’intérêt dans mon premier film. Mon approche a toujours été de mélanger et juxtaposer le grand et le petit, le sérieux et le drôle, l’histoire collective et l’intime, avec un mélange de rigueur et d’exubérance dans la mise en scène. En pré-production, alors que j'échangeais avec les chefs de départements, j’utilisais constamment les mêmes expressions : “perversité élégante” et “élégance perverse” pour décrire ma vision. Je voulais quelque chose qui paraisse raffiné et élégant en surface, tout en dissimulant une part ludique et subversive. L’inattendu me fascine : les films qui abordent des questions sérieuses de manière ludique, ou des thèmes légers avec profondeur et sophistication.
Je trouve que travailler avec des comédiens est une expérience à la fois intrigante et terrifiante ! Le processus de jeu et le travail intérieur des acteurs me fascinent. Mais je m’inquiète souvent sur la manière de communiquer de manière efficace, de transmettre clairement l’idée que j’ai en tête. Avant le tournage, j’imaginais un plateau dans un monde où les personnages suivraient une grammaire et des conventions propres, distinctes de la réalité. Outre la composition visuelle et le décor, la présence physique des acteurs faisait partie intégrante de la création de ce monde de poésie si particulier. En phase de pré-production, j’ai eu besoin de beaucoup de préparation avant de pouvoir parler aux comédiens. Certains acteurs se sont sentis déconcertés par mes indications, car ils étaient issus d’autres écoles ou habitués à des approches différentes. Mais après quelques discussions et des références, nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d'onde.
Ayant grandi dans la culture thaïlandaise, je me considère comme un réalisateur thaïlandais, et je pense que le public thaïlandais comprendra mon travail plus profondément. Bien que la Thaïlande possède une riche histoire de cinéma commercial, le concept de cinéma d’auteur n’est apparu qu’à la toute fin du XXème siècle. Mon travail s'inscrit sans doute dans la lignée des réalisateurs indépendants thaïlandais du début des années 2000. Je perçois mon travail comme étant à la croisée des mélodrames thaïlandais traditionnels, avec leurs dialogues explosifs et excessifs, et un mouvement qui n’a pas encore de nom propre, qu’on appelle parfois réalisme fantastique ou fabulisme. Parmi les réalisateur·ice·s qui m’ont le plus influencé figurent Jacques Rivette, Manoel de Oliveira, João César Monteiro, Eugène Green, Raoul Ruiz, Otar Iosseliani, Werner Schroeter et Marco Ferreri.