À propos de Le Ravissement

par Marilou Duponchel

 Entretien avec Iris Kaltenbäck

« Quand ma meilleure amie est devenue mère, ça a créé un bouleversement gigantesque. J’ai l’impression qu’on parle beaucoup de ce que provoque l’arrivée d’un enfant dans un couple,  moins dans l’amitié. Il y a un ébranlement vécu par une des deux amies et l’autre doit y faire face. Dans les amitiés fusionnelles, on vit plusieurs étapes de la vie ensemble et puis là, tout d’un coup, on ne sait plus exactement comment faire partie de cette amitié. Je suis ensuite tombée sur ce fait divers qui m’avait beaucoup interpelée, l’histoire d’une femme qui emprunte l’enfant de sa meilleure amie et qui fait croire à un homme que c’est le sien. J’ai toujours été très touchée par les histoires de maternité contrariée ou déplacée, qu’il s’agisse d’une femme qui devient mère, qui enfante ou d’une femme qui ne l’est pas. On peut devenir mère et ne pas du tout ressentir les sentiments attendus et inversement une femme qui n’enfante pas, peut se faire avoir par le mythe de la maternité et devenir mère sans l’avoir vraiment voulu. Ce cœur là soulevait des problématiques que je trouvais intéressantes sur le rapport à la féminité. Qu’on soit mère ou pas, qu’on ait envie de l’être ou pas, j’ai l’impression qu’il y a toujours un moment de la vie où l’on est confronté à ce mythe. Ce fait divers a fait écho à toutes ces questions.

Le Ravissement de Lol. V Stein de Marguerite Duras a inspiré le titre du film. Ado, ce livre m’avait complètement bouleversée, l’histoire de cette femme qui voit son fiancé tomber fou amoureux d’une autre femme devant ses yeux. J’avais adoré la manière dont elle racontait le trauma de façon presque sourde, et le déni, ce déni qui habite le personnage pendant tout le livre et qu’elle a besoin de revisiter. Ça m’avait parlé de façon très intime, éclairé sur le rapport qu’on peut avoir aux évènements difficiles dans la vie et paru extrêmement juste. Cette façon de saisir comment les choses traumatisantes ressurgissent lentement, de manière déplacée. 

J’aime beaucoup la manière dont Kelly Reichardt, Lucrecia Martel ou encore Ryusuke Hamaguchi abordent la question de l’expérience féminine d’une façon intime qui me semble nouvelle et très nuancée. Le cinéma américain des années 70, Taxi Driver ou Panique à Needle Park, pour ne citer qu’eux, a été inspirant pour résoudre la question de la corrélation entre le romanesque et le réel. Le cinéma taïwannais des années 2000 m’a aussi beaucoup inspiré. Je pense à des films comme Yi Yi d'Edward Yang ou Millennium Mambo d’Hou Hsiao Hsien sur la solitude, le rapport à la ville, comment raconter une histoire contemporaine qui prend place dans une ville.

Je voulais me détacher du fait divers et inventer des personnages, raconter une histoire avec le plaisir du récit et du scénario tout en parvenant à insuffler le plus de réel possible dans la fiction. Une des premières questions qui nous a beaucoup préoccupée avec Marine Atlan, la cheffe opératrice, c’était comment raconter la maternité au cinéma aujourd’hui, comment la filmer ? C’est un champ qui a été à la fois beaucoup abordé et en même temps pas vraiment, qui peut faire peur parce qu’on peut très vite tomber sur des écueils. Je me suis rapidement dit que je voulais filmer de vrais accouchements, filmer cette épreuve physique et poser cette question du ravissement, du premier regard, le filmer. Que ce soit là, avoir cette précision documentaire sans recourir au discours. J’ai passé du temps avec des sages-femmes notamment pendant ce tournage documentaire où l’on a suivi des gardes entières sans savoir ce qu’on allait avoir. Puis il y avait le sujet du consentement des mères et des soignantes. Ça a été un travail long et éprouvant, on s’est rendu compte des conditions de travail, de ce nombre d’heures accumulées de façon folle. J’avais le sentiment que montrer ce métier par les gestes, c’était ce qu’il y avait de plus cinématographique.  »