À propos de Inshallah a boy

par Perrine Quennesson

Entretien avec Amjad Al Rasheed

Que ressentez-vous à l’idée d’être le premier film jordanien présenté à Cannes, toutes sélections confondues? 

C’est tout simplement incroyable. L’annonce de notre sélection a eu un réel retentissement dans l’industrie jordanienne et a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Mais c’est aussi beaucoup de pression, il faut être à la hauteur. Pour le moment, je souhaite laisser le film vivre sa vie auprès du public et des critiques. Ensuite, j’espère faire aussi bien sinon mieux pour mon prochain. C’est comme ça que je me mets la pression.

Est-ce qu’une telle loi, que celle décrite dans le film, existe réellement en Jordanie? 

Oui, tout à fait, ainsi que dans la plupart des pays arabes, et elle est toujours en application aujourd’hui : si une femme perd son époux et n’a pas de fils alors une partie de l’héritage revient à sa belle-famille. En réalité, l’histoire du film a été fortement inspirée par celle d’une membre de ma famille qui s’est retrouvée dans une situation similaire. Elle avait acheté une maison mais son mari avait demandé que l’achat se fasse en son nom car la honte aurait été, selon lui, trop grande de vivre dans la maison de son épouse. Quand il est mort, la belle-famille de cette femme lui a dit « Nous t’autorisons à rester dans ta maison ». Et si elle ne l’avait pas fait ? Que serait-il advenu d’elle? C’est à partir de ces questions-là qu’a germé le scénario d’Inshallah a boy

Le film n’est pas seulement l’histoire d’une loi. Il montre avant tout la violence et le systématisme d’une société patriarcale… 

Exactement. Pour moi, le film n’est pas seulement sur la société jordanienne. Il s’intéresse aux inégalités et aux violences que subissent les femmes dans le monde. En Jordanie, je mets en avant cette loi, mais je pourrai faire un film en Europe où je parlerai d’inégalité des salaires. A une échelle globale, de nombreuses lois et règles existent pour que les femmes se sentent inférieures, et c’est cette injustice que je souhaite pointer du doigt.

Pour y résister, vous avez imaginé une femme incroyable : Nawal. Pouvez-vous la décrire? 

C’est une survivante. Elle découvre qu’elle n’a pas peur de faire face à une situation à laquelle elle n’était pas préparée et qu’elle sait dire « non ». Pour être tout à fait honnête, elle est en grande partie inspirée de ma mère. J’ai prêté à Nawal sa force et ses qualités qui la rendent si spéciale. Mais elle vient aussi de femmes que j’ai rencontrées dans le cadre de mon travail. J’ai eu l’occasion de réaliser quelques vidéos institutionnelles, pour des ONG et des organisations en Jordanie, qui souhaitaient mettre en avant quelques profils inspirants de femmes jordaniennes. Et elles ont toutes quelque chose en commun : elles ont certes presque toutes été victimes d’abus par des figures masculines de leur entourage et mais elles ont aussi eu la force de dire non et de prouver qu'elles peuvent faire aussi bien voire mieux que les hommes, à condition qu’on leur laisse une chance.

La force d’Inshallah a boy tient à son héroïne, bien sûr, mais aussi aux personnages secondaires, écrits avec beaucoup de nuances, loin des archétypes…

L’idée était de mettre tous les personnages dans une zone de gris où chacun a compris que charité bien ordonnée commence par soi-même. Personne n’est purement mauvais ou bon : ils sont humains avant tout. Tout dépend des circonstances, de leur degré d’exposition et de leur éducation. Je ne souhaitais juger aucun de mes personnages, ni en préférer un aux autres. Pour les dessiner, j’ai bénéficié de l’aide précieuse de Rula Nasser, notamment en ce qui concerne les sujets féminins. Ce que je voulais avant toutes choses, c’était soulever des questions morales. Comme autour de cette loi : est-ce que si on a le droit, ici de prendre une partie de l’héritage, on doit le faire? Pour moi c’est une question plus grande que le film lui-même qui j’espère accompagnera les spectateurs dès la sortie de la salle. Je sais que le personnage de Nawal sera sûrement durement jugé, en particulier dans mon pays, mais je voudrais que, le temps du long métrage, on essaye de se mettre à sa place. Et cela est impossible si l’on n’écrit pas ces personnages avec toute la nuance et l’honnêteté qu’ils méritent.