À propos de La Pampa

par Marilou Duponchel

Entretien avec Antoine Chevrollier

Je n’ai pas fait d’études, je me suis retrouvé catapulté dans le monde du cinéma. Je suis monté à Paris avec l’envie de faire des films mais sans aucune connaissance du milieu. J’ai loué une caméra, fait un premier, un deuxième film puis je me suis retrouvé assistant. J’ai réalisé ensuite un clip d’un groupe qui s’appelle Bagdad et qui a bien marché dans le réseau queer. C’est là qu’on s’est fait repérer par Eric Rochant qui préparait Le Bureau des légendes. Il m’a confié la réalisation de scènes nerveuses de la première saison. J’ai ensuite réalisé Baron noir, puis créé Oussekine, qui me semblait indispensable à raconter. En parallèle j’écrivais La Pampa.

J’aime beaucoup Fishtank et la manière dont Andrea Arnold donne une profondeur à ses personnages qui sont intensément creusés. J’aime qu’il y ait dans la narration quelque chose de taiseux autour des personnages et qu’une attitude, un regard, un vêtement puissent en dire beaucoup. On retrouve ça aussi chez Mungiu ou Coppola. Quand nous avons écrit La Pampa avec Bérénice Bocquillon et Faïza Guène, la question omniprésente était : qui sont nos personnages ? 

Le film vient d’une discussion à une terrasse de café avec un ami et au cours de laquelle est revenu à mon esprit ce terrain qui s’appelle la pampa et qui se trouve dans le village où j’ai grandi. C’est un terrain de moto-cross qui générait beaucoup de fantasmes à mes yeux à l’époque. C’est un sport qui coûte cher mais qui ne rapporte pas grand chose. Mes parents n’avaient pas les moyens de me payer une moto mais je regardais les autres à travers les grilles. Le fantasme n’était pas tant lié à la pratique qu’à ce qu’elle générait en virilisme exacerbé avec tous ces hommes, et ces femmes d’ailleurs aussi, qui jouaient très bien le jeu du patriarcat, de la masculinité toxique. Ça me fascinait. Je l’ai plus tard déconstruit.

Je suis pour une description réaliste des choses et pas naturaliste que je vois, parfois, comme une forme de fainéantise ou de cynisme. J’ai beaucoup aimé certains films naturalistes mais c’est quand même une école dirigée, en partie, par une classe bourgeoise qui pose parfois un regard supérieur sur une autre classe qu’il fantasme sans la connaître ou qu’il filme dans des décors et une lumière blafarde. Ce n’est pas ce qui m’intéressait mais je voulais être très proche d’une réalité. C’est ce dont parle Bourdieu dans La Distinction sur le traitement du bagage culturel de la classe prolétaire, qui va être plus gras, plus souligné. A l’origine, même si aujourd’hui les choses ont changé, La Pampa est un film que je voulais dédier aux gens de mon enfance, de mon adolescence et que je voulais généreux. La générosité est parfois taxée de mauvais goût. Moi je pense qu’on peut nouer les choses.

À la Semaine de la Critique