60 ans d'avenirs

La Guerre est déclarée

par Xavier Leherpeur

La vie d'un sélectionneur à la Semaine de la Critique est à la fois exaltante, intense, parfois frustrante, mais toujours galvanisante. Il faut bien cela pour tenir les longues journées de visionnage, ainsi que les débats parfois houleux, mais toujours constructifs, qui étayent la sélection finale. Il faut savoir jouer avec la fatigue, les espoirs déçus, les doutes. Et puis vient ce moment où tout se concrétise. Cet instant que l'on pourrait presque qualifier de miraculeux, où le film que l'on espérait, tout en se demandant s'il arriverait un jour, est enfin déniché. Une œuvre qui synthétiserait tout ce que l'on recherche : de la personnalité, de l'audace, de l'originalité, du vécu, de l'émotion et de l'universel. Un film que l'on voudrait absolument proposer au public, en espérant qu'il marquera et touchera les futurs spectateurs autant que nous le fumes lors de sa découverte. Un alignement des planètes - pour reprendre une expression un peu toute faite mais très évocatrice - qui n'arrive pas si souvent.


Ce fut le cas en 2011 avec La guerre est déclarée, deuxième long-métrage de Valérie Donzelli. Un drame personnel et exutoire, sur la pathologie dont le fils de la réalisatrice était atteint, et qui ne tombait dans aucun des travers de l'atermoiement ou du chant plaintif. Un film enlevé, coloré, ivre de vie, qui déboula un après-midi sur l'écran de la salle du CNC. Et qui nous laissa sans voix. Enfin pas longtemps, car dès la fin de la projection, les langues se délièrent et ce fut un torrent d'enthousiasme. C'était une certitude, il nous fallait ce film. Mais l'évidence de sa réussite entraîna immédiatement une inquiétude. N'allait-il pas (et fort légitimement) être approché par la Sélection officielle ou par la Quinzaine des réalisateurs ? Débuta alors une drôle de période, faite à la fois d'excitation et de fébrilité. Et d'un suspense de tous les jours qui connut une fin heureuse. Mais le plus délicat restait à faire. Car composer une sélection est un objet de tous les équilibres. Mal placé, un film pourtant remarquable peut hélas passer inaperçu.


Une fois que fut acquise la certitude de sa sélection au sein de la 50
ème édition, le comité et Jean-Christophe Berjon, qui était notre délégué général, le choisirent pour inaugurer cette cuvée anniversaire. Une case stratégique mais pas sans risque, car dans l'excitation (et l'embouteillage) des séances d'ouverture, qui lancent chaque année les festivités cannoises, le film allait-il trouver un écho digne de sa puissance ? Il fit bien mieux que cela. Ce fut un triomphe. Une bourrasque émotionnelle qui débuta dans la salle Miramar, avant de propager son onde bénéfique sur toute la Croisette. Nos espoirs étaient comblés. Le film n'était pas seulement apprécié. Il était adoré. Tout comme nous l'avions adoré deux mois plus tôt. Sa fougue, sa sincérité, sa confiance dans le septième art avaient séduit et bouleversé. Subitement, nos fatigues (500 films en trois mois, ça vous marque) comme nos craintes étaient effacées. La Semaine de la Critique était sublimement lancée, et cette édition, comme beaucoup d'autres, fut un mémorable succès.